LE XVÈME  DANS LA LITTÉRATURE :

LES LIEUX DU XVÈME ARRONDISSEMENT

FRÉQUENTÉS PAR PATRICK MODIANO ET SES PERSONNAGES

 

Cet article est un résumé-présentation de la conférence sur Les lieux du quinzième arrondissement fréquentés par Patrick Modiano et ses personnages, donnée le 14 juin 2023 à la Mairie du XVème.

On y trouvera le résumé proprement dit de la conférence, avec toutes les précisions de livres, de dates et de lieux nécessaires, et des extraits des textes eux-mêmes. Si bien qu’ainsi même les personnes qui n’ont pu assister à la conférence pourront se faire une idée précise de la question posée par le titre, et du rôle important du quinzième arrondissement dans le développement des romans de Patrick Modiano.

Voici le préambule :

 

Les romans de Modiano nous prennent-ils et ne nous lâchent-ils plus ? Parce qu’ils nous font participer à une enquête - une quête de personnages qui ont existé autrefois et qui n’existent plus aujourd’hui (L’Herbe des Nuits, 2012), ou alors qu’on peut peut-être retrouver vingt ou quarante ans après (Encre sympathique, 2019). Il arrive aussi, mais c’est rare, que le narrateur soit contemporain de la jeune fille recherchée, et retrouvée, et qu’ils puissent enfin vivre en même temps (Accident nocturne, 2003). Tout cela est très émouvant.

Et le style nous parle directement, nous pouvons facilement nous identifier au narrateur. Exemple, la première phrase de L’Herbe des Nuits : « Pourtant je n’ai pas rêvé » ; voyons tout ce qui est sous-entendu par elle : c’est une phrase très simple, quotidienne, qu’on se dit souvent ; il y a eu quelque chose avant ce début (Pourtant) ; la première personne (Je) nous parle de maintenant (présent, passé composé) ; il y a doute entre rêve et réalité… Et le mystère s’épaissit : « Je me surprends quelquefois à dire cette phrase dans la rue, comme si j’entendais la voix d’un autre. Une voix blanche. » Est-ce un autre soi-même du narrateur, un double ? D’un autre temps ? Les romans de Modiano sont un voyage dans le temps, dans au moins deux temps, celui du narrateur actuel et celui d’un temps à demi évanoui, qu’on essaie de reconstituer, mais a-t-il existé vraiment ? On est à tout instant sur le mode interrogatif.

Ce voyage temporel est évidemment d’abord composé de ces deux temps : celui du passé évoqué et  celui actuel  du narrateur, mais en perpétuelle communication, en perpétuel balancement entre l’un et l’autre. Et puis il y a des temps intermédiaires : deux ans, cinq ans après les événements. Et, dans le cas de L’Herbe des Nuits, il y a l’apparition - intervention soudaine du policier coopératif - qui donne au narrateur le dossier de police complet mais mince, de Dannie et de son groupe et du narrateur lui-même ! Question : à quelle époque cette apparition - intervention a-t-elle lieu ?

À la fin du roman Encre sympathique il y a un troisième temps inattendu : les deux "héros" s’aperçoivent que, dans leur adolescence, à Annecy, ils prenaient ensemble le même car !

Le roman le plus vertigineux à ce sujet est sans doute Fleurs de Ruine (1991), où s’entremêlent dès le début trois temps, celui du narrateur (années 80), celui de l’histoire revécue (années 60), et un temps inconnu du narrateur (il n’était pas né) : 1933 !

Et nous-même, lecteurs, pouvons-nous nous promener dans les rues de Paris en reconstruisant ce qu’elles étaient à l’époque de l’histoire. Et par exemple nous pouvons voir comment le quinzième arrondissement a évolué depuis ce temps-là.

Le quinzième arrondissement n’est jamais le lieu central des romans de Patrick Modiano, sauf dans la troisième nouvelle du livre Des Inconnues (1999), qui se déroule tout entière dans cet arrondissement

Pourtant celui-ci apparaît dans de nombreux romans, soit comme lieu secondaire mais incontournable, soit comme point de départ de l’histoire. Et d’abord, pour un écrivain qui a passé son enfance et son adolescence 15 quai Conti au cœur de la capitale, sur le quai entre Pont-Neuf et Pont des Arts, le XVème est loin, aux confins de Paris : « au fond du 15ème arrondissement […] vers l’intérieur des terres, jusqu’au fond de Vaugirard ». Effectivement, le narrateur d’Accident nocturne précise :

« Porte d’Orléans. Porte de Vanves. Avec un peu de chance nous aurions pu nous rencontrer, dans cet arrière-pays […] Nous étions tous les deux du même monde.»