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L'EMANCIPATRICE,

UNE IMPRIMERIE COOPÉRATIVE À GRENELLE

(M. Debonne/bulletin n°10)

Cette histoire débute avec le XXe siècle. A cette époque, le jeune lycéen des beaux quatiers, Robert Debré, qui deviendra plus tard professeur de médecine, curieux de son époque, s'aventure dans Grenelle. Il y découvre une université populaire nommée l'Emancipatrice, où viennent ''des ouvriers d'âges et de métiers différents auxquels des enseignants, des écrivains ou des syndicalistes apportent une pâture intellectuelle d'une grande variété: exposés de vulgarisation scientifique, lectures poétiques, leçons d'économie politique et aussi des auditions musicales ''... Il y fait la connaissance de 16 ouvriers typographes licenciés à la suite d'une longue grève que les Travailleurs du Livre ont menée contre le travail aux pièces individuel et le tâcheronat, et accessoirement contre l'emploi des femmes {même syndiquées) dans l'imprimerie, considérées comme des concurrentes redoutables. Ces typographes projettent de s'affranchir du patronat, de créer une imprimerie dont ils seraient seuls ropriétaires et gestionnaires, de travailler dans des conditions meilleures et plus fraternelles, la direction étant assurée par l'ensemble des ouvriers et les bénéfices partagés entre tous. L'enthousiasme ne suffit pas, il faut trouver les fonds de départ pour louer un local, acheter des machines, lancer les premières commandes...
Leur projet s'ébruite. Jaurès le propage dans la presse, Anatole France le cite dans les universités populaires où il intervient. Ici et là, des ouvriers rognent sur leur salaire pour leur adresser quelque argent. Des coopératives d'autres professions font également un modeste effort. Des intellectuels engagés mettent à contribution leurs amis fortunés. Dans son livre autobiographique rédigé un demi-siècle plus tard (''L'honneur de vivre'' Paris 1974), le professeur Robert Debré raconte comment, avec l'enthousiasme de la jeunesse, il prend leur cause à coeur, la plaide auprès d'un haut fonctionnaire, qui leur obtient un prêt de 60.000 francs et leur trouve également la personne qui accepte de les cautionner pour la location d'un local 3 rue de Pondichéry, petite rue calme et peu bâtie, dans le XVème arrondissement. 
Les seize compagnons achètent alors quelques matériels : des casses de caractères (la composition en France est encore manuelle) et leur première machine à imprimer... Enfin, le 28 avril 1901, ils constituent leur Société par commandite, qu'ils baptisent "L'Emancipatrice". Ce nom qui exprimait leur vocation était aussi celui de l'université populaire de leur arrondissement où eut lieu la cérémonie d'inauguration de leur imprimerie associative le 1er mai 1901, date symbolique, dans une atmosphère exaltée.
La vie de la coopérative fut une suite de succès, de difficultés, d'entraides tant en son sein qu'à l'extérieur. Les promesses du début furent tenues. La réalisation de la journée de huit heures (première revendication à l'époque), la création d'une caisse de solidarité subvenant aux absences pour maladie ou lors des périodes militaires, une rémunération équitable et la gestion d'un fonds qui assurerait une vieillesse paisible.
Le fils d'un des fondateurs témoigne : "En fin de semaine, ils faisaient les comptes. S'il y avait un positif, ils mettaient de côté la part destinée à rembourser la dette, une seconde pour le fonds de réserve légal, une autre pour la caisse de solidarité. Ce qui restait était étalé sur le marbre et partagé équitablement, avec un petit mieux pour ceux qui avaient charge d'enfants".
Le nombre de clients croît, également celui des associés. L'Emancipatrice surmonte les moments difficiles grâce aux commandes d'organismes coopératifs, d'associations syndicales ou populaires, voire les services administratifs officiels. Ce qui lui permettra également de survivre aux deux guerres mondiales.
Avec les années, de nouvelles directions remplacent les successeurs des fondateurs, de nouvelles méthodes de gestion sont appliquées qui éliminent peu à peu l'esprit originel d'oeuvre sociale au profit d'intérêts personnels qui conduisent à la mort de l'entreprise.

Fin d'une généreuse épopée, le 28 mai 1985, l'Emancipatrice dépose son bilan.

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